RESTAURER UNE OEUVRE DE JR : ENTRE RESPECT; POUSSIERES ET REGARDS
Restoration, Respect, JR, Mémoire, Engagement
Marie Ducimetière
8/26/20252 min read



Il y a des œuvres qui, même à travers la poussière du temps, continuent de fixer le monde avec une intensité presque dérangeante. C’est le cas de Women Are Heroes, un projet emblématique de JR, que j’ai eu la chance de restaurer récemment. Cette pièce — un fragment d’un grand collage mural installé en 2008 dans la favela Morro da Providência, à Rio de Janeiro — fait partie d’un projet photographique à portée sociale et poétique. L’idée : afficher, en très grand, les visages de femmes victimes de guerre, de violence ou d’injustice, en leur redonnant une visibilité frontale et monumentale. ( Women Are Heroes, Brésil ) Ce morceau d’histoire collé sur bois avait donc besoin d’un soin particulier… et d’une approche respectueuse.
I D E N T I F I C A T I O N
28 Millimètres, Women Are Heroes, Action dans la Favela Morro da Providência, Favela, Rio de Janeiro, Brésil, 2008 est un collage sur bois, partiellement vernis, réalisé entre 2008 et 2009 à la favela Morro da Providência à Rio de Janeiro.
O B J E C T I F
L’œuvre était dans un état qu’on pourrait qualifier de « fatigué mais digne ». Un peu empoussiérée, légèrement abîmée par endroit, avec quelques fragments de bois détachés et des clous rouillés. Certaines zones de papier étaient en train de se soulever, et une tache blanchâtre sur le côté laissait suspecter une ancienne moisissure. Malgré cela, l’ensemble restait lisible, puissant, et surtout porteur de sens. L’intervention ne visait donc pas à la « rajeunir », mais à la stabiliser, à la nettoyer avec délicatesse, et à préserver ce que le temps avait inscrit — sans en effacer la trace.
I N T E R V E N T I O N
L’intervention s’est faite en plusieurs étapes, en commençant par une observation minutieuse. À la loupe et sous lumière UV, j’ai pu cartographier les zones à risque : poussières incrustées, fissures dans le vernis, micro-décollements du papier, clou instable. Le nettoyage s’est d’abord fait à sec, avec des outils doux (soufflette, pinceau japonais, gomme latex), puis de façon très localisée avec de l’eau déminéralisée sur coton-tige, uniquement là où la surface l’acceptait. Certaines salissures plus grasses ont nécessité un protocole légèrement ajusté, toujours en respectant les matériaux originaux.
Les fragments de bois ont été refixés avec un adhésif réversible et compatible, tout comme les morceaux de papier déchirés. Le clou rouillé, partiellement délogé, a été stabilisé pour éviter toute détérioration mécanique ou chimique. Quant à la trace blanchâtre suspecte, elle a été testée, puis traitée de façon préventive, afin d’éviter tout développement fongique à l’avenir.
Après l’intervention, l’œuvre a retrouvé sa stabilité sans rien perdre de son caractère. Le vernis jauni, choisi consciemment comme trace du temps, a été laissé intact. La planéité a été rétablie, les papiers refixés, les matériaux sécurisés. Et surtout, le regard de ces femmes collées sur le bois, chargé de dignité et de résistance, est resté inchangé.
Restaurer, ce n’est jamais « réparer » ou « faire disparaître les défauts ». C’est prendre soin, respecter l’histoire visible et invisible, et créer les conditions pour que l’œuvre continue à exister, à parler, à interpeller. Dans le cas de JR, c’est aussi continuer à porter un message : ces femmes sont là, elles nous regardent. Et il est de notre devoir de ne pas les détourner du regard.
Note: les droits intellectuels sur l’œuvre complète restent la propriété intégrale de l’artiste.



